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Le brutalisme est sans doute l’un des rares styles architecturaux à avoir suscité autant de controverses. Son produit est la cible de démolitions massives à travers le monde. Joyaux architecturaux à valoriser ou vestiges de la vague de pauvreté de la période d’après-guerre à démolir ? tel est le débat soulevé par les urbanistes et les militants du patrimoine du monde entier à propos de la préservation de l’œuvre brutaliste.

Immeubles résidentiels, tours, hôtels, passages souterrains, ponts…, tant d’ouvrages d’inspiration brutaliste qui intriguent et ne laissent personne indifférent. Ultra compacts et massifs, ces bâtiments renvoient à une austérité palpable, parfois pesante, qui tranche souvent avec la « normalité » des bâtiments voisins plus communs et rassurants.  L’Hôtel de Ville de Boston conçu en 1969 par Kallmann McKinnell & Knowles a même été élu bâtiment “le plus laid au monde” en 2008 par les lecteurs du site Virtual Tourism.com.

Naissance

Ces ouvrages aux allures de Mégalithes sont nés dans les années 1950 en réponse au mouvement Bauhaus. Alison et Peter Smithson choisissent la dénomination « Brutalisme » en référence au « béton brut ». Il s’agissait à l’époque d’une volonté de trancher avec la légèreté du design du début du 20ème siècle et les formes courbes de l’art déco de la bourgeoisie. De gigantesques masses grisâtres et imposantes allaient bientôt s’implanter dans ce paysage architectural en ébullition.  Dans l’Europe d’après-guerre, la pauvreté s’installe, les logements se dégradent et les ressources pour la restauration manquent. L’urgence était de trouver une alternative plus humaine aux bidonvilles, véritables nids de maladies, et de reconstruire les centres urbains. Avec l’industrialisation, le béton fait sa grande apparition.  Il s’impose très vite comme le matériau de construction qui solutionnerait entre autres les problèmes de mal logement. Peu coûteux et facile à mettre en œuvre, il répond aux critères recherchés pour une réhabilitation urbaine rapide. Les architectes modernistes chargés de concevoir des logements et des bâtiments publics entre les années 1950 et 1970 ont ainsi vu en la construction de tours en béton la solution la plus saine mais aussi la plus économique. Le Corbusier a été l’un des précurseurs du mouvement dans l’urbanisme social. Les tours de béton grises et massives voient alors le jour dans plusieurs villes d’Europe et ailleurs. Alison et Peter Smithson se sont opposés à cette idée d’habitat vertical qui selon eux détruirait l’esprit communautaire spécifique aux bidonvilles.  En réponse à cela, ils ont développé leur concept de « the streets in the sky » (les rues dans le ciel), une organisation urbaine favorisant davantage la vie de quartier.

Dégringolade

La gloire du béton annoncée par les architectes ne fait pas long feu. Les immeubles résidentiels de grande hauteur se sont rapidement transformés en sièges de pauvreté et de délinquance. Les habitants se plaignent de leurs logements où il gèle en hiver et qui bouillonnent en été à cause de la conductivité thermique du béton. Le gris et la massivité du béton se révèlent être des alliés du crime et de problèmes sociaux en tous genres. Les citoyens s’indignent de voir les bâtiments publics d’inspiration brutaliste défigurer leurs villes. C’est ainsi que le mouvement s’éteint dans les années 1970 face à son échec évident.

 Le brutalisme, aujourd’hui : la résurrection

L’association du style brutaliste aux tours de logements sociaux et à la criminalité a rendu le brutalisme impopulaire. Aujourd’hui plus que jamais, il reprend vie et séduit de plus en plus dans les milieux artistiques, de la mode et de la musique. Le gigantisme impressionne et inspire. Les adhérents du brutalisme portent un tout autre regard sur ces édifices d’après-guerre. Ils y voient la manifestation de l’audace architecturale des modernistes et une écriture poétique unique qui se manifeste dans les lignes dures et affirmées qui les dessinent. Des lieux complètement à l’abandon depuis des décennies sont réhabilités et servent aujourd’hui d’écrin à la musique ou à la mode.

Manel Ben Amar